Marc Wilmots répond aux critiques, revient sur ce qu’il a appris au Brésil et se projette déjà sur un Euro qu’il vivra dans un rôle de favori ou presque. “L’Allemagne est dans le groupe juste derrière la France et l’Espagne, comme nous.” Entretien vérité à 76 jours de l’Euro.
La date fatidique du 10 juin approche désormais à grandes enjambées. À quelques semaines du début de l’Euro, Marc Wilmots évoque sans détour le statut de son équipe, ses ambitions, ses concurrents et la pression qui incombe à tout numéro 1 mondial. Désormais, le regard du sélectionneur national n’est braqué que sur trois choses : l’Irlande, la Suède et l’Italie.
Marc Wilmots, débutons par le plus important : les Diables Rouges peuvent-ils devenir champions d’Europe en France ?
"C’est possible."
Beaucoup pointent les Belges comme les grands favoris…
"Les gens ne sont pas aveugles. Au-delà de nos frontières, beaucoup se rendent compte que nous possédons un bon groupe. Je reçois d’ailleurs des tonnes de demandes d’interview venues de l’étranger. La raison ? Ils veulent en savoir plus sur nous, connaître ce que nous faisons. Cela me rend heureux de savoir que nous faisons désormais partie des favoris. Notre travail est donc respecté par les autres. Je souhaite toutefois relativiser ce statut de favori. Tous nos joueurs ne sont pas titulaires en club. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne ou de l’Espagne, par exemple. Tous leurs éléments sont des joueurs clés dans leur club respectif."
Peut-on encore se qualifier d’outsider quand on est la Belgique ?
"Nous voulons toujours gagner, mais…"
Il y a deux ans, au Brésil, nous avions l’impression que nous ne ramènerions jamais le trophée à la maison. Mais les Diables sont désormais davantage pris au sérieux…
"C’est exact, c’est ce que je ressens."
Pourquoi toujours être dans la modération du public ?
"Si j’en laisse certains faire, nous sommes déjà champions d’Europe. Alors, je réponds honnêtement que ce ne sera pas si facile que ça. Prenez l’Allemagne, la grande Allemagne, en exemple : elle n’a plus gagné d’ Euro depuis 20 ans. Cela prouve que ce n’est absolument pas facile. C’est mon avis. Pour le reste, ce qui est dit m’importe peu."
Ne voulez-vous pas également vous débarrasser de la pression ?
"Il y aura de la pression, mais ce ne sont que trois à sept matches. Que nous soyons champions d’Europe ou non, cela ne change rien à ma vie. Je vis chaque instant en voyant au jour le jour. Je suis actuellement concentré sur notre groupe (assez compliqué) à l’ Euro 2016 . Je n’ai même pas encore pensé à un huitième de finale. L’attention est portée sur l’Italie, notre premier match du tournoi. Je sais où nous en sommes, je sais où nous voulons aller, mais je me demande actuellement qui sera disponible ou qui sera blessé. Je comprends qu’on parle déjà énormément de ce qui peut se passer en France, mais ça ne m’intéresse pas. Vous pouvez parler d’une possible victoire, mais si vous me demandez, je ne vous répondrai pas. Vous pensez que nous sommes les favoris ? OK. Je ne peux dire que ce que je pense."
"Je trouve l’Euro plus difficile que la Coupe du monde"
La Tchécoslovaquie en 1976, les Pays-Bas en 1988, le Danemark en 1996, la Grèce il y a 12 ans, ce ne sont pas toujours les plus grands ou les favoris qui l’emportent…
"Que voulez-vous que je réponde à ça ? Personnellement, je trouve l’ Euro plus difficile que la Coupe du Monde. Nous y allons pour faire du mieux que nous pouvons et la Belgique peut être fière de son équipe. C’est pour cela que nous y allons. Lorsque nous avons été éliminés par le Brésil en 2002, nous étions fiers de notre prestation. C’est aussi important."
Vous y allez donc pour gagner ou pour bien jouer ?
"La victoire est ce qui importe le plus. Mais je veux jouer de manière offensive avec une véritable identité de jeu. Mon équipe doit oser et je veux que mes joueurs brillent de cette manière."
C’était aussi votre souhait au Brésil, sans succès…
"Le match face aux États-Unis n’était-il pas bon ? Tout dépend aussi de l’opposant. Puis, le beau football, c’est gagner et aller aussi loin que possible."
Vous servirez-vous de votre expérience à la Coupe du Monde pour changer l’approche vis-à-vis du tournoi ?
"Sur le plan tactique, ça a changé, oui. De Bruyne joue désormais dans l’axe et Witsel ne doit plus se charger seul des tâches défensives. Il y a un système de compensation mis en place avec Radja Nainggolan qui se trouve à ses côtés. Les latéraux peuvent également davantage monter. Toutes ces choses sont des adaptations que nous avons réalisées dans un laps de temps relativement court. En équipe nationale, tu n’as jamais beaucoup de temps. Encore cet été, il est possible que nous ayons des blessés, des joueurs qui devront jouer la finale de l’ Europa League (18 mai) ou de la Ligue des Champions (28 mai). C’est un problème classique chez les sélectionneurs nationaux. Il n’y a pas ce clic qui doit se passer avant un Euro . Je l’ai déjà remarqué par le passé."
Un autre changement pourrait avoir lieu au niveau des entraînements que certains critiquaient au Brésil car ils étaient trop légers, monotones et sans travail des phases arrêtées…
"Cette remarque me fait rire. Nos entraînements sont bons. Je travaille toujours la possession de balle avec un tempo élevé. Jordan Lukaku était d’ailleurs, de son propre aveu, très fatigué lorsqu’il était avec le groupe. Les attaquants reçoivent assez d’exercices spécifiques, comme du travail de lignes de course. Je ne reçois pas de critique de leur part. Nos entraînements sont variés, les échauffements sont modifiés à chaque fois par Mario Innaurato afin qu’il n’y ait pas la moindre répétition durant une semaine. Tout finit par revenir : la forme de match, la possession de balle… et les phases arrêtées."
C’est pourtant un gros point de critique vu l’absence de travail sur phases arrêtées avant et durant la Coupe du Monde…
“Il est important que les joueurs sachent où ils doivent se placer que ce soit en situation offensive ou défensive. Regardez nos 25 matches officiels, nous ne prenons pas le moindre but sur phase arrêtée. Je pense qu’il s’agit d’un record. Nos corners et coups francs sont également mieux donnés qu’avant. Vous pensez que c’est lié au fait que je travaille cela ? Non. La seule chose que je fais est de choisir qui va frapper. Je ne peux rien faire de plus. Au Brésil, certains corners n’étaient pas bien bottés. Ce n’est pas illogique : cela faisait 12 ans que nous n’avions pas participé à un grand tournoi. À la Coupe du Monde, nous en voulions trop, ils voulaient trop bien faire. Désormais, les corners ne volent plus.”
Le fait que 22 des 23 joueurs présents aient joué leur premier grand tournoi au Brésil a-t-il été pris en compte dans l’évaluation du tournoi ? C’était également une première pour vous en tant que coach…
“J’ai joué quatre Coupes du Monde, hein ! Pour moi, ce n’était pas nouveau. Le coach peut mettre le bon joueur à la bonne place et former un groupe qui formera une unité. Cela fait désormais la différence entre les autres et nous. Certains ont essayé de semer la zizanie entre nous, mais je les en remercie. Ça nous a rendus plus forts. Je ne dirai jamais rien au sujet de mes joueurs dans les médias. Je le dis en face. Ils le savent et le respectent. Ils sont conscients que je ne choisis pas la facilité et que je suis devant eux quand je dois leur dire quelque chose. Leur respect envers moi a grandi.”
Peut-on dès lors considérer que les Diables Rouges sont plus forts aujourd’hui qu’au Brésil ?
“Nous avons gagné en maturité, c’est sûr. Le duel face à la Bosnie en qualification était un bon exemple. Nous avons été rapidement menés, mais personne ne s’est montré nerveux. Et à la fin, nous gagnons 3-1 sans souci. C’était différent lors des qualifications pour le Mondial. Contre l’Écosse, par exemple, nous étions très stressés. Nous sommes devenus plus calmes, on se dit que ce but tombera. Nous possédons aussi des joueurs capables de faire la différence en sortant du banc. Ils sont le cœur de l’équipe. Si tes remplaçants sont sans envie, tu es perdu. Tout se passe bien chez nous et chaque joueur vient avec un bon état d’esprit. Ça n’a pas toujours été le cas. Je suis bel et bien le patron, mais ils savent qu’ils peuvent toujours venir vers moi. Ce n’est bien sûr pas suffisant pour gagner un tournoi, mais c’est une bonne base.”
Qu’avez-vous déjà appris de nos adversaires (l’Irlande, l’Italie et la Suède) ?
“Nous possédons les 10 derniers matches des trois équipes en vidéo. Mais nous sommes également très occupés avec notre préparation. Vous avez remarqué que nous n’avons des matches amicaux que contre de grands pays ? La France, l’Italie, l’Espagne, etc. (Il rit) Ce n’est pas très bon pour mes statistiques mais bien pour notre développement.”
Le fait qu’Antonio Conte parte pour Chelsea après l’Euro est un avantage !
“Non, car les Italiens sont concentrés sur leur Euro . Nous étions dans la même situation au Mondial 2002 car Robert Waseige avait déjà signé au Standard. Dans le football, chacun choisit son propre chemin, ses propres défis. L’avenir d’un tel entraîneur ne change pas la donne.”
Vous parlez de votre déplacement pour voir vos adversaires mais vous êtes également parti pour un tour d’Europe pour visionner tous vos joueurs…
“C’est très intéressant pour moi. Je suis passé à Tottenham où j’ai vu Toby Alderweireld et Nacer Chadli. J’ai également discuté 45 minutes avec Jan Vertonghen et Moussa Dembélé. Nous avons parlé de tout et même assez peu de football. Lors des rassemblements des Diables avant un match, je n’ai pas trop le temps pour ça alors je profite du cadre plus détendu de ces visites. Mais j’y vais avant tout pour faire du scouting en analysant leur position sur le terrain, les consignes reçues, etc. Il est important de savoir tout cela vu le timing en équipe nationale.”
“J’ai discuté avec Jurgen Klopp après la finale de la Coupe de la Ligue”
Vous avez déjà rendu visite à tout le monde ?
“Presque. En Angleterre, il est facile d’aller à droite à gauche. Je dois encore aller à Rome (NdlR : pour Nainggolan) et à Naples (NdlR : pour Mertens) . Je fais le tour de mes joueurs, mais je ne me contente pas de parler uniquement avec eux. J’ai, par exemple, discuté avec Jürgen Klopp, le coach de Liverpool, après la finale de la Coupe de la Ligue. Ça a duré une demi-heure. La relation entre la Fédération et les clubs de nos Diables est importante. Ils veulent savoir ce qui se passe et ce que nous allons faire et nous devons donc être ouverts et honnêtes.”
En parlant d’honnêteté, pouvez-vous, sans langue de bois, nous dire qui est le favori pour l’ Euro ?
“La France et l’Espagne.”
Les Espagnols ne sont-ils pas dépassés ?
“Regardez un peu Barcelone et le Real Madrid et leur onze de base. De l’expérience et des jeunes joueurs fabuleux.” Mais ils brillent grâce à ceux qui font la différence : Messi, Neymar, Suarez, Ronaldo, Bale, Benzema, tous des étrangers… “Oui mais regardez le parcours de l’Espagne. Et leur expérience aussi. La France, elle, joue à domicile et possède 80 joueurs de qualité parmi lesquels il faut choisir. Benzema et Griezmann en tête de liste. Nous avons Hazard et De Bruyne. Tous ces bons joueurs font que ce sera un Euro de haut niveau.”
On peut s’étonner de ne pas vous entendre placer le champion du monde allemand parmi les favoris !
“Ils sont dans le groupe qui suit la France et l’Espagne. Nous en faisons également partie.”
“Je suis fantastique si je gagne ? Non, ce sont les joueurs qui le sont”
Beaucoup disent que la cérémonie qui vous a couronné à Dubaï était celle de votre agent, Jorge Mendes…
“C’est faux. Le trophée a été organisé par le bureau italien Barilla. D’ailleurs, la majeure partie des membres du jury sont italiens : Adriano Galliani (NdlR : le directeur de l’AC Milan) , Antonio Conte (NdlR : le sélectionneur italien) , Fabio Capello,… Je ne pense pas que ces gens soient sous contrat avec Jorge Mendes. J’ai été nommé car les Diables Rouges sont revenus de très loin pour s’installer à la première place du classement Fifa. C’est un honneur pour un Belge.”
Vous n’êtes pourtant pas fan de ce genre de prix…
“C’est vrai. Sans mes joueurs, je ne suis rien. Ma mission était de construire un groupe fier de jouer pour son pays. Et cela a fonctionné depuis les sept années que je travaille à la Fédération. Qui aurait cru que je resterais si longtemps ? Cela va tellement vite dans ce milieu. Regardez Michel Preud’homme, son travail était remis en cause en décembre et on dit maintenant de lui qu’il est le meilleur. Laissez les coaches travailler.”
Cela vaut-il également pour vous ?
“Pas spécialement. Je veux travailler sur du long terme, participer à trois ou quatre grands tournois.”
Vous avez le sentiment d’être sous pression avec les attentes populaires ?
“Pourquoi serais-je sous pression ? On va faire de notre mieux et si tout est mis en place pour cela, c’est bon. Quand ce sera fini, nous refermerons la page pour aller de l’avant. J’espère que celui qui viendra après moi sera jugé de la même manière que moi.”
Si vous êtes champion d’Europe, tout le monde vous trouvera fantastique !
“Non, ce sont les joueurs qui le sont.”
(Source DH)
(Source DH)